«Il était une fois
un roi qui régnait sur un royaume paisible. Mais un jour, un terrible dragon
surgit et terrorisa toute la contrée. Seul un petit écuyer eut le courage de
l'affronter. Alors Baba Yaga la sorcière lui prépara une amulette, et le
vaillant petit écuyer, luttant de toutes ses forces, finit par terrasser le
dragon. Le roi, reconnaissant, lui proposa sa fille en mariage. Et la paix de
nouveau régna sur le royaume. » Comprendre le fonctionnement du conte, c'est ce
à quoi s'attache le folkloriste russe Vladimir Propp (1895-1970) dans
Morphologie du conte. A partir d'un corpus constitué de contes populaires
russes, Propp va isoler sept types de personnages, comme le héros,
l'adversaire, ou encore l'auxiliaire (qui aide le héros) ainsi que trente et
une fonctions. Ces fonctions correspondent à un découpage du récit en grandes
étapes successives et immuables : un méfait initial (un dragon terrorise la
région) engendre la quête d'une réparation de la part du héros qui, par la ruse
ou le combat, en se faisant parfois aider (sortilège, épée magique), passe par
une série d'épreuves jusqu'au succès (ou à l'échec) final.
Contrairement aux
tendances de l'époque, Propp ne cherche ni à révéler la dimension sociale des
textes, ni à classer les contes en grandes catégories. Sans faire véritablement
oeuvre de théoricien, il soutient une idée à la fois simple et audacieuse :
au-delà de leur diversité apparente, tous les contes seraient issus d'un même
canevas. Il s'agit alors de dégager l'organisation interne des formes
narratives, la structure même du récit.
Une grammaire des
formes narratives.
Propp est considéré
comme le précurseur de l'analyse structurale du récit. Professeur à
l'université de Leningrad (aujourd'hui Saint-Pétersbourg), proche des
formalistes russes, mouvement consacré à l'étude des formes littéraires auquel
les linguistes Roman Jakobson et Mikhaïl Bakhtine participèrent, Propp est
membre de la Société pour l'étude de la langue poétique, l'Opoïaz. Dans
Morphologie du conte, il démontre que les séquences du récit sont soumises à des
règles d'organisation logique, dont il relève le caractère binaire (de type
interdiction/transgression). Il construit ainsi une grammaire des formes
narratives qu'il rédige comme des formules mathématiques. Dépassant la
dimension figurative du conte, qu'il considère comme superficielle, il confère
à l'analyse un plus grand degré d'abstraction, ce qui la rend applicable à
toutes sortes de récits, romans, bandes dessinées, films ou mythes... C'est là
que réside l'attrait de sa méthode qui, trente ans plus tard, emportera
l'enthousiasme des structuralistes. Car il faut attendre 1958 pour que
Morphologie du conte soit édité en anglais, et 1970 pour la traduction
française. Critiqué, l'ouvrage fut néanmoins salué par Lévi-Strauss, qui lui
reprochait cependant d'étudier la grammaire du récit au détriment de sa
dimension symbolique. La narratologie moderne et toute la théorie sémiotique
d'Algirdas J. Greimas, en furent profondément influencées.
https://www.scienceshumaines.com/morphologie-du-conte_fr_12993.html